L'amnésie environnementale

L'amnésie environnementale, qu’est-ce que c’est ?

Nov 2022

Phénomène récent dans l’histoire de l’humanité, l’amnésie environnementale (ou amnésie écologique) correspond à l’oubli progressivement des caractéristiques de notre environnement, comme une habitude prise par nos inconscients de la dégradation du climat et de la biodiversité.  

C’est cet oubli de l’histoire environnementale que le psychologue américain Peter H. Khan qualifie d’amnésie environnementale, une acclimatation des êtres humains à la dégradation de l’environnement. 

Voie lactée, hirondelles et températures, quelques exemples d’amnésie environnementale 

Vous souvenez-vous de la dernière fois que vous avez pu admirer un ciel étoilé par temps clair ? Celui qui donne l’impression d’être absorbé par l’immensité de l’univers. 

A moins que vous viviez dans une réserve de ciel étoilé ou en haute montagne, ce type d’observation est désormais rare sur le sol européen. 

C’est ça l’amnésie environnementale, oublier un paysage que nos ancêtres admiraient quotidiennement et qui devient aujourd’hui si rare que l’on a du mal à s’imaginer la beauté de son existence. 

En Europe, les halos lumineux des zones urbaines font disparaître les constellations et la voie lactée en créant une pollution lumineuse nocive à beaucoup d’égards (nous y reviendrons dans un prochain article), mais en nous faisant aussi perdre la mémoire de l’émerveillement d’une claire nuit d’été. 

L’amnésie écologique, c’est aussi s’étonner aujourd’hui de voir voler des papillons ou des hirondelles dans nos jardins. Chanceux sont celles et ceux qui assistent aujourd’hui à ce spectacle. 

Si vous êtes né.e avant les années 2000 et que vous avez grandi ou que vous êtes parti en vacances à la campagne, c’était pourtant une démonstration de la nature qui n'était pas si surprenante à l’époque. 

Aujourd’hui elle l’est, on oublie que ces manifestations faisaient partie de notre quotidien. 

L’amnésie environnementale ne touche pas que la biodiversité. 

De nos jours, on considère comme presque normales des températures de 35°C l’été à Paris, alors que pendant une bonne partie de la seconde moitié du XXème siècle, ce phénomène n’arrivait qu’une fois tous les 5 ans. 

Voilà quelques exemples qui illustrent l’amnésie environnementale, ce que Anne-Caroline Prévot, directrice de recherche au CNRS et biologiste de la conservation au Muséum national d’histoire naturelle qualifie très justement par le fait de considérer comme “normal” un état de dégradation environnemental avancé.

Mais alors comment en sommes-nous arrivés là ? 

Des causes multiples

L’avancée de l’être humain sur la nature

Selon les estimations de l’ONU, en 2050, deux personnes sur trois habiteront en ville. 

En repoussant toujours plus nos frontières avec la biodiversité et en éloignant toujours plus les zones sauvages des vies humaines, il est de plus en plus difficile de se mêler à la nature et nous faisons alors face à ce que l’écologue américain qualifie d’extinction de l’expérience de nature.  

 « Quand un enfant grandit loin de la nature, il aura moins tendance à vouloir la protéger ensuite, car elle ne fait pas partie de son cadre de référence. Elle n’existe pas dans sa mémoire ». Anne-Caroline Prévot illustre ici parfaitement l’enjeu de nos avenirs. 

Une transformation de nos imaginaires

Selon un rapport de l’Institut de veille sanitaire, aujourd’hui, 4 enfants sur 10 ne jouent jamais dehors pendant la semaine. 

La standardisation de nos imaginaires et de nos activités causée par l’explosion de la consommation de contenus à travers nos écrans dégrade grandement nos expériences de nature : les enfants (comme de plus en plus d’adultes d’ailleurs) trouvent aujourd’hui plus de stimulation dans un écran qu’à travers une expérience de balade en forêt, de randonnée en montagne ou de construction d’une cabane dans un arbre. 

Cette augmentation sans précédent de contenus numériques participe à ce phénomène d’amnésie environnementale. Elle nous coupe de toute expérience de nature.

Un manque de transmission de notre mémoire environnementale

Selon l’ornithologue Philippe J. Dubois, les individus ayant connus un contact intime avec le vivant sont parfois trop accablés par les changements qu’ils observent pour en parler à leurs enfants. 

Ce manque de transmission de notre mémoire environnementale qu’il dénonce, entraîne un oubli inconscient des éléments naturels qui nous entourent. 

Les risques liés à l’amnésie environnementale

Nous transformons le monde, mais nous ne nous en souvenons pas.” Voilà ce que disait en 2014 le biologiste spécialiste des ressources marines, Daniel Pauly dans une conférence Ted. 

C’est peut-être la conséquence la plus dramatique liée au phénomène d’amnésie environnementale, presque fataliste, qui nous entraînerait contre notre volonté dans une chute vers l’oubli et nous rendrait inapte à tout changement. 

On dénombre alors trois risques sous-jacent liés à cette perte de souvenir, tous accélérant le phénomène 

  1. L’inaction : En s’habituant à des phénomènes autrefois anormaux et en cessant de considérer ces événements comme anormaux, on ne ressent alors plus le besoin de passer à l’action. 
  2. La perte de repères : Plus le temps avance, plus les phénomènes anormaux deviennent normaux, et il arrive même dans certains cas que les jeunes générations n’aient jamais connu de situation normale. Même si on a conscience du problème, comment alors viser un objectif si celui-ci n’a jamais fait partie de sa vie ? 
  3. La perte de sensibilité : On l’a vu, l’expérience de nature tend à s'estomper de plus en plus dans nos vies. Comment alors être sensible à la destruction d’une forêt ou à la perte d’une espèce animale si on n’a jamais ou que très rarement été en contact avec elle ? Si on n’éprouve pas de sentiment pour une chose, il devient alors tout de suite beaucoup plus difficile de se battre pour la défendre, c’est humain.

Faire face à ce risque d’oubli de la nature et inverser la tendance ?

Nos sociétés actuelles font de plus en plus face à ce risque d’amnésie environnementale, et le sujet reste encore trop peu abordé dans les débats liés au dérèglement climatique et à la destruction des écosystèmes. 

La reconstruction de nos mémoires écologiques est pourtant clé dans le changement exigé de nos sociétés. 

Pour cela, des solutions existent. 

Se re-connecter au vivant

Les reportages Netflix ne doivent pas être notre seul lien avec la nature. Se déplacer en marchant ou à vélo peuvent redevenir la norme, explorer les espaces verts autour de soi, jardiner, partir en montagne ou encore s’engager dans des associations environnementales, les actions de reconnexion sont nombreuses et à la portée de toutes et tous.

Le média Nowu nous dresse une liste plus exhaustive, de ce qu’il est possible de faire pour rétablir nos expériences de nature.

Renforcer l’éducation à la nature 

Dans les écoles, les entreprises, la vie publique, à tout âge et dans tous les milieux, l’apprentissage de ce qu’est la nature et de comment le vivant est intimement lié à l’être humain doit être la norme. C’est ce qui donnera envie à toutes et tous de re-rentrer en contact avec nos environnements. 

Créer des zones protégées

Parcs naturels ou aires marines protégées, c’est en créant ces espaces où l’activité de l’homme est proscrite que le passé revit. S’il existe quelque part, on ne l'oublie pas, et le niveau de référence théorisé par Daniel Pauly est alors constamment réinitialisé. 

Réensauvager notre rapport au monde

Dans L’Europe réensauvagée, Gibert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet dressent un portrait du réensauvagement de l’Europe, de l'augmentation démographique récente de nombreuses espèces animales et végétales presque disparues au cours du XXème siècle. 

Dans la préface du même livre, Baptiste Morizot décrit sous sa plume toujours juste la manière dont il estime que le réensauvagement soit perçu : “L’humanisme dont on a besoin aujourd’hui pourrait essayer de nous définir non pas par distinction avec le vivant, mais par affiliation et relation constitutive avec lui.

Nous devons ne pas perdre ces “noeuds de relation et d’interdépendance avec la vie qui nous entoure - nous sommes faits de la vie autour, comme elle est faite de nous.”

Pour aller plus loin

  • Le souci de la nature, apprendre, inventer, gouverner ; Cynthia Fleury, Anne-Caroline Prévot ; CNRS Éditions, 2017
  • L'Europe réensauvagée, vers un nouveau monde ; Gilbert Cochet, Béatrice Kremer-Cochet ; Actes sud ; 2020

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